
Quand la Suisse tentait en secret de libérer Mandela
Dès septembre 1987, la Suisse a soutenu une initiative diplomatique visant à libérer Nelson Mandela et à accélérer la chute de l'apartheid. Mais finalement l'opération a capoté.
Nelson Mandela a été officiellement et totalement libéré en février 1990. Il aurait pu l'être avant. Cette aventure historique a été racontée par le négociateur sur place, Richard Rosenthal, dans un ouvrage intitulé «Mission improbable, a piece of South African story».
Berne comme point de départ
Tout commence à Berne le 6 mai 1988. Trois convives partagent un repas. Sont présents: le secrétaire d'Etat Edouard Brunner, et son assistant, l'ambassadeur Christian Blickenstorfer, à qui le socialiste neuchâtelois René Felber, fraîchement nommé à la tête du Département fédéral des affaires étrangères, a donné carte blanche. Dernier protagoniste venu d'Afrique du Sud, Richard Rosenthal, un avocat du Cap qui recherches des appuis solides pour faire sortir Nelson Mandela de Prison. Au dessert, ce dernier entend ce qu'il est venu chercher à Berne: «Mon gouvernement est disposé à vous soutenir et à fournir une assistance financière à votre initiative» lui dit Edouard Brunner.
Dis-huit mois d'aventure
La rencontre de Berne marque le point de départ d'une folle aventure diplomatique dans laquelle la Suisse jouera un rôle central durant plus de dix-huit mois. Une aventure dont l'objectif est d'accélérer, en quelque sorte, le cours de l'histoire de l'Afrique du Sud: obtenir la libération de Nelson Mandela et l'ouverture de négociations entre le gouvernement d'apartheid et l'African National Congress (ANC), qui mène depuis son exil une résistance armée au régime de ségrégation raciale.
Dans un sanatorium suisse
Des contacts sont pris entre Richard Rosenthal et le président sud-africain de l'époque P. W. Botha. Le but est de lancer une initiative diplomatique visant à ouvrir le dialogue entre Botha et l'ANC. Contre toutes attentes, Botha se dit prêt à envisager une telle démarche. La Suisse est sollicitée financièrement et offre une sorte de «patronage» discret. Au final, l'idée est que Nelson Mandela soit libéré sur sol suisse, ce qui permettrait au gouvernement sud-africain, sans perdre la face, d'alléguer des «motifs de santé», «Nelson Mandela venant se refaire une santé dans un sanatorium suisse».
Sans suite
Selon Richard Rosenthal dans son ouvrage, c'est René Felber, conseiller fédéral, qui aurait «torpillé» les négociations. Le 3 octobre 1988, le président Botha s'arrête à Berne où il s'entretient avec le socialiste neuchâtelois. Ce dernier, sans prendre de gants, bouscule P. W. Botha, dont le tempérament colérique et susceptible est légendaire: «Alors, presse Felber, pourquoi l'initiative Rosenthal avance-t-elle si lentement?» Furieux de n'avoir pas été mis au courant que l'opération était aussi avancée, il demande des explications. Au final, toute l'opération est abandonnée.
Une certaine dichotomie
La Suisse a eu une attitude schizophrénique vis-à-vis de Pretoria durant l'apartheid. Tout en condamnant le régime raciste qui a sévi entre 1948 et 1994, elle a maintenu d'étroits contacts avec le gouvernement sud-africain de l'époque. L'industrie suisse a été jusqu'à appuyer la fabrication secrète de bombes atomiques.
En ne se joignant pas aux sanctions, la Suisse, par ses exportations de capitaux et l'acquisition d'or sud-africain, a soutenu en termes d'efficacité économique le régime de l'apartheid avec ses entreprises d'Etat assoiffées de crédits et ses énormes dépenses publiques. Les deux pays ont aussi collaboré en matière de renseignements pour combattre les opposants à l'apartheid. la Suisse a même appuyé indirectement la fabrication de bombes atomiques sud-africaines. Ayant un besoin urgent d'uranium pour son propre programme d'arme atomique, elle en a importé d'Afrique du Sud, seul pays à l'époque prêt à en livrer sans condition.
Mais lorsqu'il est libéré en février 1990 après vingt-sept ans de prison, Nelson Mandela décide de réserver à la Suisse l'un de ses premiers voyages à l'étranger.
Partage