
1230 : Première citation du Col du Gothard, alors appelé Montre Tremulo. Toutefois, le commerce y transiterait depuis plusieurs siècles déjà. Les historiens supposent que le col était régulièrement utilisé dès l'âge du Fer.
C'est d'ailleurs sans doute aux voyageurs que se consacre la chapelle érigée sur le col, entre 1166 et 1230. La plus ancienne description d'un voyage par le Gothard remonte à 1234 et, en 1237, sont publiés les premiers statuts d'une association de transporteurs, celle des muletiers d'Osco.
À cette époque, le passage est pourtant acrobatique et particulièrement dangereux. Il se révèle pourtant nécessaire, bientôt vital, aux éleveurs uranais qui prennent l'habitude de l'emprunter pour acheminer leur bétail jusqu'à Milan. Faciliter l'accès vers l'Italie du Nord devient rapidement une obsession.
Une légende raconte la construction du pont qui ouvre le premier passage dans le Gothard. Elle remonte au début du XIIIème siècle.
Bienvenue en 1241 ! Il y a encore 10 ans, les Alpes étaient infranchissables. Aucun passage n'existait en Europe entre le Nord et le Sud. La faute aux Gorges de la Schöllenen, dans le massif du Gothard. Des gorges profondes parcourues par un torrent tumultueux et surmontées de falaises tellement abruptes qu'il était impensable d'y faire serpenter le moindre sentier.

C'est un chef-d'½uvre de ferronnerie, complété d'astucieuses passerelles en bois accrochées le long des falaises par des anneaux métalliques fixés dans la paroi.
Quelle inventivité, quel talent pour une époque si reculée, n'est-ce pas? Vous vous demandez qui est le génie qui a bien pu ériger un tel monument dans un endroit aussi dangereux ?
En échange de ce chef d'½uvre de génie civil, le Diable nous a imposé un contrat. Sordide. Et nous l'avons accepté.
Il a exigé... la vie du premier habitant qui franchirait le pont.
Vous imaginez? Un vrai dilemme pour tous les villageois de Göschenen, qui se sont longuement réunis avant de prendre leur décision.
Et désigner le malheureux qui sera sacrifié sur le « Pont du Diable ».
Mais le Diable a trouvé plus malin que lui. Les habitants de Göschenen sacrifient... un bouc. voilà comment ils ce sont acquittés de leurs dette envers ce sinistre personnage. Le pont est baptisé « Pont du Diable » (Teufelsbrücke). Il ouvre la voie à la fantastique épopée du Gothard.
Évidemment, ça ne lui a pas beaucoup plus au Diable.
Espérant détruire le pont, il a arraché un rocher gigantesque de la falaise - 2000 tonnes, 12 mètres de haut tout de même, qui a manqué sa cible et est venu s'écraser... à quelques enjambées du village.
Ouf! Le pont était sauf, le village aussi.
(Plus plausiblement, la construction du pont est attribuée aux Walser qui réalisèrent d'autres ouvrages remarquables en Valais avant de rejoindre cette vallée uranaise, sans doute en empruntant la Furka.)
Rapidement, ce nouveau passage dans le Gothard se métamorphose en véritable route commerciale.
1493 – 1503 : Viandes, peaux, beurre et fromage transitent désormais à dos de mule sur le vertigineux pont du Diable. Mais aussi, mais surtout, le sel, aussi précieux que de l'or.
170 tonnes de marchandises transitent annuellement par le Gothard. Elles sont transportées par les associations de muletiers, très organisées. Fondées par des habitants de la région, elles exercent un monopole et imposent une taxe aux commerçants (Forletto ou Fuhrleiti). Elle permet de financer l'entretien et le déneigement du passage.
Ce monopole ne s'interrompra qu'au XIXe siècle et la construction de la première route carrossable.
1653 : Première liaison postale hebdomadaire dans le Gothard, entre Milan et Lucerne. Le voyage prend alors quatre jours.
1696 : Service de courriers à cheval deux fois par semaine entre Zurich et Milan.
1707 : l'ingénieur Pietro Morettini a construit le premier tunnel alpin. S'étirant sur 60 mètres.
1830 – 1870 : Construction d'une route carrossable. Le transport de passagers et d'envois spéciaux se fait désormais par voiture. L'aller-retour en diligence est journalier entre Chiasso et Flüelen dès 1842. 70'000 voyageurs et 10'000 à 20'000 tonnes de marchandises transitent annuellement par le Gothard autour de 1870, Soit près de 70 fois plus qu'en 1500 ! Va bientôt falloir trouver une solution... encore plus rapide et efficace.
1869 : Avec l'ouverture du Canal de Suez, les habitants des vallées du Gothard craignent que le trafic commercial européen se détourne vers les ports. L'Allemagne, l'Italie et la Suisse concluent un accord en 1871, planifiant la construction de la ligne des Chemins de fer du Gothard.
En 1869, le rail s'impose comme le transport de l'avenir. Le premier passage ferroviaire à travers les Alpes commence, il s'agit du chantier le plus ambitieux de la Suisse du XIXe siècle..La Suisse a inauguré sa première ligne ferroviaire en 1847 et l'Europe entière tisse déjà des dizaines de milliers de kilomètres de voie ferrée. Décision est donc prise de relier le Gothard au réseau ferré européen.

2500 ouvriers travaillent au pic, à la pelle et avec des perforatrices à air comprimé. 3 équipes se relaient 24 heures sur 24, des deux côté de la montagne, autour de la pièce-maîtresse de l'ouvrage, un long tunnel de 15 kilomètres qui s'engouffre à l'intérieur du massif du Gothard.
Malgré le rythme extrême, le chantier cumule les imprévus techniques principalement liés à la nature du sol, les accidents et les retards. L'ingénieur genevois Louis Favre promettait de terminer l'ouvrage en huit ans ; ses ambitions paraissent vite utopiques. Il met encore plus de pression sur les travailleurs.
Sur le chantier du siècle, les conditions de travail sont particulièrement précaires. Les ouvriers, travailleurs italiens pour la plupart, sont payés entre 3 et 5 francs par jour, somme à laquelle sont soustraits 2,50 francs pour le logement et la nourriture ainsi que 30 centimes pour l'huile des lampes.
Les accidents se succèdent, les morts se compteront en centaines ; 177 uniquement lors de la construction du tunnel.
28 juillet 1875 : en 1875 ! Le chantier du siècle bat son plein dans les Alpes. 2500 ouvriers travaillent à un rythme effréné dans un climat poussiéreux, étouffant et... dangereux, notamment avec l'introduction des techniques les plus innovantes, parmi lesquelles le dynamitage. 3 équipes se relaient 24 heures sur 24, des deux côtés des Alpes.
Mais les problèmes techniques s'enchaînent et les promesses de l'ingénieur genevois Louis Favre, il espérait terminer le chantier en huit ans! - paraissent bien utopiques. Il met donc encore plus de pression sur les ouvriers. Qui n'en peuvent plus.
Tellement qu'ils viennent de se mettre en grève, réclamant une réduction du temps de travail (de 8 à 6 heures par jour) et le versement de leur salaire en argent comptant.
On ne rigole pas avec le « chantier du siècle » et les revendications des ouvriers sont matées sans cas de conscience. La gendarmerie d'Uri, appuyée de miliciens civils armés n'hésite pas à tirer, on déplorera, malheureusement, la mort de 4 ouvriers.

Les conditions de travail hallucinantes des ouvriers du Gothard, dont beaucoup sont des exilés italiens, demeurent donc inchangées. 3 à 5 francs par jour, somme à laquelle il faut retrancher 2,50 francs pour le logement et la nourriture et 30 centimes... pour l'huile des lampes !
Des centaines d'hommes employés sur le chantier du Gothard y perdront la vie, dont 177 lors de la seule construction du plafond. L'ingénieur en chef Louis Favre lui-même y mourra en juillet 1879, victime d'une rupture d'anévrisme. 50 ans après l'inauguration du tunnel, un monument sera érigé en hommage aux nombreuses vies sacrifiées.
1 juin 1882 : Ouverture du tunnel la ligne des Chemins de Fer du Gothard avec deux ans de retard et un dépassement de 100 millions de francs qui s'ajoutent aux 187 millions prévus initialement.
Les premières locomotives à vapeur le traversent à 31 km/h et transportent, dès la première année, un million de voyageurs. La ligne se révèle rentable.

Les chemins de fer du Gothard sont alors la compagnie ferroviaire privée la plus moderne et la plus technique du pays ; freinage automatique, wagons à quatre essieux, compartiment salon, etc.
L'ensemble de la ligne ferroviaire du Gothard, de Bâle à Chiasso, est électrifiée.
1980 : Un siècle s'est écoulé depuis l'inauguration de la première voie ferrée et le trafic n'en finit pas d'augmenter. Électrifiée dans les années 1920, la ligne du Gothard est désormais gérée, comme l'ensemble des voies ferrées de Suisse, par les CFF, Chemins de fer fédéraux et en 1960, le trafic ferroviaire connaît son pic de fréquentation.
Mais dès les années 1970, le rail perd de son intérêt. Le trafic poids lourd s'intensifie dans les Alpes et il est envisagé, au tournant des années 1980, de construire un tunnel routier. Seulement voilà.
Pour construire la nouvelle route, il va falloir déplacer... la « Pierre du Diable » !
Vous savez, celle-là même que le Diable en personne avait fait tomber du massif, espérant détruire le pont sur les Gorges de la Schöllenen.

Déplacer une pierre diabolique, ça n'augure rien de bon. On assiste bientôt à une mystérieuse augmentation des accidents au kilomètre 16. Il n'en faut pas plus pour que ces accidents soient attribués à la malédiction de la « Pierre du Diable ».laquelle continuerait ainsi son ½uvre maléfique pour punir les habitants d'Uri de leur malice... Aujourd'hui encore, le gigantesque bloc rocheux se dresse près de Göschenen, à 127 mètres de l'emplacement initial de sa chute.
1992 : En 1992, le peuple suisse a accepté la construction de transversales alpines qui prévoient la construction d'un nouveau tunnel ferroviaire long de 57 kilomètres, un géant! Les travaux devraient s'échelonner jusqu'en 2017.
L'objectif est clair : transférer progressivement la route au rail. Car la gestion du trafic - notamment lourd - à travers les Alpes est problématique. Un million de camions viennent s'y entasser chaque année! De plus, le tunnel routier est bi-directionnel. Ce qui signifie que le trafic (plus de 17'000 véhicules chaque jour) se croise, enfermé dans un tube unique de 17 kilomètres de long.
Un vrai danger. Comme en atteste le terrible accident qui se produire le 24 Octobre 2001 à 9h39, UN CAMION SORT DE SA TRAJECTOIRE, LE TUNNEL S'EMBRASE. 11 PERSONNES MEURENT.
Effectivement. Les flammes envahissent le tube sur plus de 300 mètres, la température atteint... 1200 degrés tuant 11 personnes.
Il s'agit de l'accident de la route le plus meurtrier survenu en Suisse, (jusqu' en 2012). Il a motivé la révision des infrastructures de sécurité du tunnel routier qui se présente aujourd'hui comme l'un des plus sûrs du monde.
Ce qui ne dispense pas nos autorités de poursuivre leur projet de développement du rail, qui continue donc à creuser ses trous dans les Alpes.
1994 : L'initiative des Alpes est acceptée. Elle encourage le transfert de la route au rail.
15 octobre 2010 : Percement du tunnel ferroviaire du Gothard. Les ouvriers font la jonction par le Nord et par le Sud. Le moment est historique, l'ensemble des chaînes de télévision suisses et internationale le retransmettent en direct.
À 2000 mètre sous terre, en plein c½ur des Alpes suisses, le nouveau tube, fierté du génie civil suisse, s'étire sur 57 kilomètres, 7 de plus que le tunnel sous la Manche ; il devient le plus long tunnel du monde. 15 années auront été nécessaires pour parvenir à cette jonction historique.
Mais les 2000 ouvriers n'en ont pas fini. Le chantier de la ligne ferroviaire du Gothard devrait s'échelonner jusqu'en 2017.
Il a bien changé, le tranquille et reculé village de Göschenen depuis l'époque de ses sentiers de mules du XIIIème siècle!
Au c½ur de la Suisse dite primitive, le passage du Gothard naquit au même moment que la Confédération, à l'abri des mêmes vallées reculées.

Il devint un enjeu stratégique, économique mais aussi militaire, en particulier lorsque le Général Guisan y concentra les troupes et mina les passages stratégiques pour dissuader tout envahisseur. Et la stratégie fonctionna (le Réduit national).
Mythique passage qui façonna le pays et accompagna les moments les plus marquants de notre histoire, il fut un obstacle qui devint un passage. Celui qui séparait autrefois les cultures latines et germaniques est aujourd'hui un trait d'union entre l'Europe.
Et son histoire est en marche, elle se poursuit au gré des chantiers dont le prochain majeur, le tunnel ferroviaire « de base », aboutira en 2017, ouvrant de nouvelles perspectives au passage le plus mythique de notre histoire.
Et dire que tout a commencé... par un contrat avec le Diable :-) .
Opato2, Posté le mercredi 06 mars 2013 20:38
:-) merci à toi d'aprecier ...à bientôt